Opus Haute Définition e-magazine

Interview

Opus Haute Définition e-magazine, 19 janvier 2020

Guillaume Vincent, « l’évidence lisztienne »

Tout d’abord, pourquoi cet intitulé « Black Liszt » au-delà du jeu de mots ?

G. V. Je souhaitais faire découvrir des œuvres de Liszt qu’on n’a pas l’habitude d’entendre souvent, comme par exemple la Berceuse ou la Mazurka Brillante. Certaines œuvres, parfois mises de côté, mériteraient d’être davantage connues du grand public.

D’après les témoignages de l’époque de Liszt, il semblerait qu’il fut le premier à donner un récital de piano à Londres en 1840. Quand avez-vous joué Liszt pour la première fois en public ? Et quel était le programme ?

G. V. J’ai découvert Liszt très tôt, à l’âge de 11 ans, et je me suis attaqué à certains de ses chefs d’œuvre comme la Sonate en si, Mephisto Valse, et la Vallée d’Obermann. Je me souviens avoir donné mon premier récital Liszt à 13 ans, autour de ces œuvres et quelques rhapsodies hongroises.

Le piano de Liszt était considéré comme « son orchestre ». Avez-vous également ce sentiment lorsque vous jouez sa musique ?

G. V. Absolument ! Liszt a su révolutionner son instrument à tel point qu’on en oublierait presque que ses partitions sont écrites pour le piano. Au-delà de la virtuosité, sa musique dégage une puissance sonore, grâce notamment à l’utilisation de la pédale, parfois métaphysique.

Une élève de Liszt, Amy Fray, disait « Quand Liszt joue une musique pathétique, on pourrait croire qu’il a souffert toutes les peines du monde ». Qu’en pensez-vous ?

G. V. Je crois que la plupart des grands compositeurs ont en eux une grande souffrance, peut-être due à leur grande sensibilité. Dans le cas de Liszt, et un peu comme dans certaines pièces de Chopin, il y a effectivement un caractère plaintif et douloureux. La souffrance y est exprimée au premier degré, sans détour, un peu comme si on voulait la crier sur tous les toits.

Dans les œuvres que vous abordez, dans ce nouvel enregistrement, n’y a t-il pas un écho de cette souffrance ?

G. V. Certaines pièces peuvent effectivement illustrer cette souffrance, notamment la 1e Polonaise dite « Polonaise mélancolique ». Il y a aussi des pièces plus légères et plus optimistes comme la Mazurka Brillante ou la 2e Polonaise. J’ai avant tout voulu créer un programme varié et avec différents caractères.

Que représentent-elles pour vous en regard de l’immense corpus pianistique du compositeur ?

G. V. Toutes les pièces de ce programme ont été écrites entre 1850 et 1860, soit juste après la mort de Chopin en 1849. Ce disque est en quelque sorte un hommage. Liszt, très admiratif de Chopin, s’est essayé lui aussi à la Polonaise ou à la Mazurka. De plus est-ce par hasard que la Berceuse de Chopin soit dans la même tonalité que celle de Liszt? Je ne crois pas.

Le grand pianiste chilien, Claudio Arrau, disait : « Sans doute je ne mettrais pas Liszt à la même hauteur de Bach, Mozart, Beethoven ou Schubert. Mais de Chopin, Schumann et Brahms ». Etes-vous d’accord avec lui ?

G. V. Tout dépend de où est-ce que l’on place Liszt parmi les plus grands génies. Tout cela reste très subjectif, bien sûr ! À mon sens, Mozart est à part. Bach, Beethoven, Schubert, Schumann et Brahms composent plutôt dans une certaine tradition allemande, alors que Chopin est initiateur de Liszt, Debussy, Glinka et bien d’autres… Il est difficile de comparer les styles d’écriture. Liszt s’inscrit parmi les plus grands compositeurs et est le digne successeur de Chopin.

Êtes-vous sensible à la qualité de reproduction d’une musique enregistrée ?

G. V. Oui, absolument! La qualité d’une prise de son est indispensable pour un musicien. Elle contribue évidemment au succès d’un disque et ce travail demande beaucoup de sensibilité.

En tant que musicien exigeant et rigoureux, retrouvez-vous, à travers vos enregistrements, ce que vous avez ressenti lors de vos performances ?

G. V. Je sépare toujours les enregistrements des performances de concert, car le ressenti n’est pas le même. L’enregistrement d’un disque est pour moi la continuité du travail que je fais chez moi, tous les jours. En concert, au contraire, je me détache de cet envers du décor et cherche plutôt un lâcher-prise, un peu comme si je voulais improviser une nouvelle partition.

Quels sont les autres genres musicaux qui vous passionnent ?

G. V. Je réfléchis encore à cette question car j’ai de nombreuses idées de répertoire, et je dois faire un tri… Brahms, peut-être ? J’aime beaucoup ses trois Sonates pour piano.

Propos recueillis par Jean-Jacques Millo

Visuel
Visuel