Opus Haute Définition e-magazine

Interview

Opus Haute Définition e-magazine, 27 décembre 2004

René, le pionnier

Précurseur du Super Audio CD en France, René Gambini du label Lyrinx nous livre ses réflexions.

Vous êtes en France le véritable pionnier du Super Audio CD. Comment votre aventure a t-elle débuté ?

R. G. L’aventure a débuté au moment où j’essayais de passer du PCM 16 bits 44.1 Khz au 24 bits 96 Khz. C’est à dire que comme j’ai commencé avec le disque Vinyle il y a une trentaine d’années environ, j’ai dû racheter du matériel, et lorsqu’il a fallu passer au numérique, j’ai été très déçu. Alors, chaque fois qu’il y avait une amélioration dans le numérique traditionnel, c’est à dire le PCM, j’ai cherché à suivre la moindre de ces améliorations. Donc, dés que j’ai su que le 24/96 existait, j’ai voulu m’équiper avec ce nouveau matériel. Mais entretemps, j’ai lu, je ne sais plus dans quelle revue, deux lignes sur le fait que Sony et Philips optaient pour une nouvelle technologie d’enregistrement : le DSD. J’ai donc fait des recherches dans ce sens. Et très vite, je fus invité dans les légendaires studios d’Abbey Road pour assister à des essais. C’était trois minutes d’un enregistrement de Jazz pour voix, percussions et piano. J’ai donc entendu l’essai dans les trois formats différents, c’est à dire le CD traditionnel PCM 16/44.1, le DVD audio en 24/96 et le nouveau DSD (direct stream digital). Et alors ce fut remarquable. Avec ce dernier format, je retrouvais enfin toutes les qualités du son analogique. Durant ce test, on avait l’impression d’ouvrir une porte de plus en plus grande. Le 16/44.1 était étroit, étriqué, très agressif. Ca s’ouvrait un peu plus avec le 24/96 et je dirais que le son devenait un peu plus humain. Mais alors avec le DSD, tout s’ouvrait véritablement, on n’avait l’impression d’être dans la salle de concert et surtout toutes traces d’agressivité avaient disparu, sur les attaques, les sifflantes etc…C’était d’un naturel inégalé. J’ai d’ailleurs appris plus tard, que ce système avait été inventé par des amateurs japonais qui ne supportaient plus le son du CD traditionnel et qui voulaient retrouver les qualités du Vinyle.

Donc, à l’origine le DSD a été inventé pour retrouver le son de l’analogique ?

R. G. Tout à fait, et c’est à mon avis ce que l’on oublie de dire. Car la plus grande qualité de la technologie DSD, ce n’est pas le multicanal puisque c’est propre également au DVD audio, c’est avant tout, retrouver les qualités du son analogique sans ses défauts.

Vous enregistrez en DSD. Quelles sont les différences notables entre le CD traditionnel PCM et un Super Audio CD en DSD ?

R. G. C’est à dire que, si vous écoutez les premiers CD publiés, vous verrez que le son est assez insupportable. Parce que, encore une fois, c’est un son étriqué, sans espace et très agressif dans l’aiguë. Alors, il faut revenir un peu en arrière. Que s’est til passé dans les premières années du CD ? Et bien, les ingénieurs du son ont cherché à atténuer ses gros défauts par des artifices comme la réverbération, la recréation de l’espace par des procédés artificiels, ou encore des temps d’écho très courts pour enrober le son. Tout ça pour rendre le son du CD supportable. Or, avec la technologie DSD, tout cela on le retrouve naturellement.

Aujourd’hui, le Super Audio CD est en pleine expansion, malgré une communication quasi inexistante de la part de nombreux éditeurs de disques. Que pensez-vous de cette situation ?

R. G. J’avoue que je ne comprends pas l’attitude des majors. Leur comportement est pour le moins étrange, car lorsqu’on invente une nouvelle norme d’enregistrement, il faut l’accompagner et la promouvoir. Cela dit, je pense que le DSD pourrait se développer rapidement s’il y avait une volonté pour ça.

Que pensez-vous de la sortie simultanée d’un CD d’un côté et d’un Super Audio CD de l’autre ?

R. G. Les éditeurs ont très mal communiqué. Sony a certes fait des efforts de communication, mais personne n’a expliqué au grand public que ce support existe. Même chez certains professionnels, l’image du produit reste floue. Alors, c’est tout de même gênant d’avoir inventer quelque chose qui représente, à mon avis, un des plus grands progrès dans l’enregistrement et la restitution des sons et que personne ne propose quoi que ce soit. Certains fabricants de matériels proposent des lecteurs de Super Audio CD mais ne communiquent pas sur leur produit. Je ne comprends pas. A mon sens, pour que le grand public puisse être informé sur le Super Audio CD, il faudrait communiquer au travers de la télévision. Mais quasiment personne ne le fait. Si l’on se contente de le faire dans les revues spécialisées, on se rend compte, tout de même depuis 1998 ! Que le mélomane moyen ne sait pas ce qu’est le Super Audio CD !

Vous enregistrez essentiellement de la musique de chambre et des récitals. Que pensent vos artistes de la nouvelle technologie d’enregistrement, le DSD ?

R. G. Vous savez, mes artistes ont l’habitude de voir quelque chose de différent ici. Chez-nous c’est une ambiance artisanale et très familiale. On les reçoit comme des amis, on les choisit, non seulement en fonction de leur qualité musicale, mais aussi de leur qualité humaine. Et ceux qui sont chez nous savent que j’ai des méthodes extrêmement originales. Déjà quand je faisais des CD, j’avais un amplificateur à lampes que j’ai mis au point avec Pierre Barbizet. En fait, tout à démarré lorsque je me suis rendu compte que je ne pouvais pas supporter le son que j’enregistrais. J’ai alors essayé de comprendre pourquoi. C’est au moment où j’enregistrais avec Pierre Barbizet au conservatoire de Marseille, un récital de musique française. J’ai décidé d’utiliser une amplification à lampes et j’ai eu la révélation. Cette amplification, je l’utile maintenant depuis vingt ans et je la modifie sans arrêt. J’ai d’ailleurs bien fait rire les ingénieurs de chez Studer avec ma méthode rétrograde. Donc, déjà ça, mes musiciens le savent. Ils sont habitués en entrant en studio de voir des appareils avec des grosses lampes qui rougeoient, avec parfois des faux contacts etc…Donc ils savent qu’ils débarquent dans un endroit où il y a un fou de musique qui s’attache à la qualité des timbres des instruments avant tout et qui peut arrêter un enregistrement pour un mauvais contact ou une lampe qui grésille etc… Alors quand ils ont vu arriver le nouveau matériel, ils n’étaient pas très étonnés. Ils m’ont bien sûr posé des questions, mais tous, sans exception, ont été enthousiasmés par le son qu’ils ont entendu.

Vous enregistrez tous vos disques. En tant qu’ingénieur du son, que pensez-vous du multicanal pour la musique classique ?

R. G. J’étais extrêmement sceptique. Je me suis dit, ça va être hollywoodien. Et ce que j’avais entendu à Abbey Road était catastrophique. Je me souviens avoir entendu la deuxième rhapsodie hongroise où les notes du violon passaient de l’avant à l’arrière. J’ai trouvé ça inaudible à tel point que je l’ai fait remarquer aux gens de Sony qui étaient présents. Et là je me suis dit que je ne ferai que de la stéréo parce que pour moi, le multicanal n’était qu’un gadget. Et puis quand j’ai commencé à en faire moi-même, en évitant tous les pièges, parce que c’est ça le problème du multicanal. Si l’on enregistre sans prendre de précautions, vous avez des sautes de sons directs entre l’avant et l’arrière et ça devient n’importe quoi. Donc, à partir du moment où l’on comprend que pour l’enregistrement multicanal il faut avoir devant un maximum de présence sur les instruments pour une audition dans des conditions normales, et que les micros arrières ne doivent, quant à eux, ne servir qu’à enregistrer l’acoustique de la salle, c’est gagné. Quand on a compris ça et qu’on essaye de le réaliser, on se rend compte que le multicanal est très intéressant, même musicalement. C’est à dire que tout à coup, vous êtes au coeur de la salle avec des sons de la salle et non pas des bruits venant d’ailleurs. Vous êtes entouré de sons. C’est une affaire de goût, ça peut être insupportable comme ça peut être magnifique. Tout dépend du dosage que l’on met à l’arrière. Cela dit, je pense que le multicanal est aussi un apport musical.

En tant que mélomane, que préférez- vous ? Le son multicanal ou le stéréo ?

R. G. En tant que mélomane je peux écouter de la musique sur un petit poste de radio portatif, avec un haut-parleur qui doit faire cinq ou six centimètres et j’y trouve mon plaisir. En tant qu’auditeur mélomane, maintenant que j’ai goûté au multicanal et que je reviens à la stéréo, je suis un peu frustré. Vous savez, c’est toujours dans ce sens que ça se passe. Quand on vous propose un nouveau procédé, si le procédé est bon, vous dites, oui bon, c’est peut-être pas si bien, mais quand vous revenez à l’étape précédente, là c’est la révélation. En fait, c’est quand vous sentez le manque que vous vous rendez compte de l’importance du progrès.

Aujourd’hui, que choisiriez-vous ? Le retour au vinyle ou le Super Audio CD en multicanal ?

R. G. Le Super Audio CD en multicanal enregistré en DSD.

Et pourquoi ?

R. G. A cause du fait que, mais peut-être que j’ai vieilli, je n’entends aucune différence entre le son analogique d’un disque vinyle et un enregistrement en DSD. Il y en a peut-être une, tellement subtile que je ne l’entends pas. Alors qu’en PCM, quelle que soit la fréquence d’échantillonnage, j’ai toujours entendu une différence. Donc, à partir du moment où je n’entends pas de différence avec le vinyle et où je peux bénéficier d’une acoustique exemplaire…

Pour vous, le multicanal en DSD est ce qui se rapproche le plus d’un concert ?

R. G. Oui, indiscutablement. C’est pour ça que j’ai voulu publier le concert de Katia Skanavi en public à la Criée pour que les gens ressentent l’ambiance du lieu. Et beaucoup m’ont dit, ce qui est fantastique sur ce disque c’est qu’on à l’impression d’être dans la salle.

Le Super Audio CD a t-il changé votre perception de la musique enregistrée ?

R. G. Non, il n’a pas changé ma perception de la musique enregistrée. Mais vous savez, un ami m’a dit un jour : la meilleure qualité pour un ensemble de reproduction musicale c’est son oubliabilité. Et c’est ce que j’aime dans le DSD.

Le Super Audio CD est-il pour vous une évolution importante dans l’histoire de la musique enregistrée ? Et à quel titre ?

R. G. Pour moi, la musique enregistrée c’est le compte rendu sonore le plus près possible de ce que l’on entend dans la réalité. Et je pense que pour un éditeur de disques, il y a deux attitudes possibles. La première attitude que je n’aime pas, qui est la plus fréquente, est due au PCM que l’on a enjolivé à outrance. Cela dit, j’ai des confrères qui font des enregistrements superbes, surtout avec des instruments baroques qui permettent aussi cette richesse de sons, de miroitement sonore mais qui malheureusement ne correspondent pas à la réalité. Pour moi, éditeur de disques, ce que je cherche, c’est recréer un souvenir d’un concert idéal. Donc, la seconde attitude serait de retrouver les timbres, éventuellement dans leur crudité.

Quels seront donc vos prochains Super Audio CD en DSD bien sûr ?

R. G. Un nouveau disque de Marielle Nordman avec des musiques d’Amérique du sud et de l’Espagne, trois Sonates de Mozart avec Jonathan Gilad, un disque consacré aux Sonates de Brahms pour Alto et Piano et un projet autour des quatuors à cordes de Beethoven.

Propos recueillis par Jean-Jacques Millo

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