Depuis le romantisme, l’ombre n’est plus seulement absence de lumière mais devient matière poétique. Aloysius Bertrand inspire Maurice Ravel (1875-1937) pour « Gaspard de la nuit », où les figures fantastiques surgissent du clair-obscur. Chez Thomas Adès (né en 1971), l’ombre est mémoire fragmentée. Claude Debussy (1862-1918), avec sa « Suite bergamasque », semble offrir un contrepoint lumineux. Mais son « Clair de lune » n’est pas une clarté triomphante, c’est une lueur fragile, presque tremblante, qui rappelle que la lumière n’existe qu’en contraste avec l’obscurité. La lumière est ici éphémère, une apparition qui ne dure qu’un instant avant de se dissoudre. Né à Tel Aviv en 1979, formé à Londres, Inon Barnatan s’est imposé comme un pianiste capable de naviguer entre les classiques et les contemporains. Premier Artist in Association du New York Philharmonic, il est reconnu pour sa capacité à donner une cohérence dramaturgique à des programmes audacieux. Ce disque est une méditation sur la survivance des formes où Ravel convoque Aloysius Bertrand, Adès ressuscite Dowland, Stevenson réinvente Britten, Debussy s’inspire des poètes symboliste. Une sorte de « philosophie du piano », où l’instrument devient miroir des ombres et révélateur des lumières. A découvrir.
Jean-Jacques Millo |