Opus Haute Définition e-magazine

Esquisses

Œuvres pour Cor et Piano

Leonard Schultsz (cor). Jan Schultsz (piano)

ARS Produktion 38 694, UVM Distribution

CD stéréo

« Esquisses » est une véritable exploration des possibles du cor en musique de chambre. Leonard Schultsz(cor) et son père Jan Schultsz (piano) y déploient une complicité rare, qui transforme chaque pièce en dialogue vivant. Le programme combine des enregistrements inédits et des œuvres rarement interprétées. Volontairement hétérogène, Il juxtapose notamment la fantaisie contemporaine « Le Monde Minuscule » de Daniel Schnyder (né en 1961), le romantisme intime « Einleitung und Romanze » Op.27 d’Albert Dietrich (1829-1908) et la clarté moderniste « School Music-Ballade » d’Ernst Krenek (1900-1991), convoquant également des compositeurs comme Paul Dukas (1865-1935), Georges Enescu (1881-1955), Alexander Glazunov (1865-1936), Reinhold Glière (1874-1956), Rudolf Kelterborn (1931-2021), Thüring Bräm (né en 1944), Zygmunt Noskowski (1846-1909), Theodore Akimento (1876-1945), Alexander Sriabine (1871-1915) ou encore Nikolai Tscherepnin (1873-1945). Ce mélange pourrait sembler disparate, mais il prend tout son sens grâce à l’interprétation, qui relie les œuvres par une même attention au détail et une même volonté de faire chanter l’instrument. Chez Schnyder, le cor devient acteur d’un théâtre miniature, capable de se travestir en voix grotesque ou en souffle poétique. Les saynètes sont pleines d’humour, mais derrière la légèreté se cache une écriture exigeante qui demande une virtuosité sans faille. Dietrich, au contraire, offre un univers de nostalgie et de lyrisme, où le cor retrouve sa noblesse romantique. Ses mélodies rappellent l’âge d’or du XIXᵉ siècle, avec une chaleur qui évoque la nature et la chasse sublimée. Krenek, enfin, propose une pièce pédagogique qui dépasse sa fonction didactique pour devenir un véritable portrait musical, simple mais expressif, presque archaïque dans son dépouillement. Ce qui frappe dans ce disque, c’est l’ampleur du spectre esthétique qu’il embrasse : le répertoire s’étend du romantisme tardif russo ukrainien, marqué par une sensibilité lyrique et une nostalgie profonde, jusqu’à la musique suisse contemporaine, inventive et ludique, qui ose détourner les codes pour mieux les réinventer. Cette traversée historique et géographique confère à l’album une profondeur supplémentaire, car de nombreux compositeurs russes et ukrainiens ont été les professeurs d’élèves devenus figures majeures comme Prokofiev et Stravinsky. Cette filiation artistique inscrit les œuvres choisies dans une continuité historique, reliant les traditions romantiques à l’avant garde du XXᵉ siècle et jusqu’aux expérimentations actuelles. En un mot, a réussite de l’album tient à la qualité de l’interprétation. Leonard Schultsz offre une sonorité ronde et flexible, capable de passer du grotesque au sublime, tandis que Jan Schultsz accompagne avec une élégance discrète, offrant un écrin aux lignes du cor. Leur dialogue familial confère à l’ensemble une belle cohérence, une respiration commune qui transcende la diversité des styles. La prise de son, limpide et chaleureuse, accentue cette impression de proximité. « Esquisses » est une réflexion sur l’art de suggérer, d’évoquer, de dessiner des mondes sonores en quelques traits. L’album nous rappelle que la musique n’a pas besoin d’être monumentale pour être marquante. Parfois, ce sont les esquisses qui révèlent le mieux la personnalité des instruments et des interprètes.

Jean-Jacques Millo

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