Dans « Analog Fluids of Sonic Black Holes », paru chez Don Giovanni Records en 2019, la poétesse, musicienne et militante afro-futuriste Moor Mother (Camae Ayewa), née en 1976, livrait une œuvre d’une intensité rare, à la croisée du spoken word, du punk industriel, du free jazz et de l’électronique bruitiste. Cette nouvelle mouture, en SACD, gagne une nouvelle dimension grâce à la précision chirurgicale du format haute définition, qui restitue toute la rugosité et la richesse spectrale de cette odyssée sonore. Dès les premières secondes, l’auditeur est happé dans un vortex de textures saturées, de beats disloqués et de nappes synthétiques menaçantes. La voix de Moor Mother, tantôt incantatoire, tantôt rageuse, fend le chaos avec une urgence politique palpable. L’album s’inscrit dans la lignée du collectif Black Quantum Futurism, cofondé par Ayewa, qui explore une temporalité non linéaire et intersectionnelle. Ici, le temps est un fluide, un trou noir sonore où résonnent les échos de l’esclavage, des émeutes de Los Angeles en 1992, et des violences policières contemporaines. Le support SACD révèle toute la complexité de la production. Les fréquences extrêmes, les silences abrupts, les saturations contrôlées prennent une ampleur inédite. L’écoute multicanale accentue l’effet de vertige, comme si l’on était aspiré dans un trou noir acoustique. C’est une œuvre qui exige une écoute active, presque physique, tant elle sollicite les sens et la conscience. « Analog Fluids of Sonic Black Holes » est une archive sonore de la douleur et de la résistance noire, un manifeste qui refuse l’oubli. Une œuvre radicale, qui mérite toute l’attention des amateurs de musiques expérimentales et engagées.
Jean-Jacques Millo |