Opus Haute Définition e-magazine

D.Scarlatti. G. Kurtag

Sonates et Pièces pour Piano

Andras Schiff (piano)

Audite 97.838, Distrart Distribution

CD stéréo

Dans cet album singulier, le pianiste Andras Schiff (né en 1953) interprète deux compositeurs que tout semble opposer : Domenico Scarlatti (1685-1757), figure du baroque italien, et György Kurtag (né en 1926), maître de la miniature contemporaine hongroise. Schiff les présente dans deux volets distincts, chacun issu d’un concert différent du Festival de Lucerne, Scarlatti en 1999, Kurtag en 1998. Ce choix souligne leur intégrité stylistique tout en révélant une parenté profonde : la densité expressive, la forme brève, et une quête de l’essentiel. Le premier volet est consacré à treize sonates du maître italien, choisies pour leur variété de caractère : éclat virtuose (K. 96, K. 518), lyrisme méditatif (K. 208, K. 175), contrastes dramatiques (K. 394, K. 395), et jeux de miroir (K. 426, K. 427). Andras Schiff les appréhende avec une clarté polyphonique remarquable, un toucher dépouillé, sans maniérisme, qui transcende le piano moderne pour en faire un instrument de résonance intérieure. Le second volet plonge dans l’univers de Kurtag, avec des pièces extraites des "Jatekok" (Jeux) vol 5 & 6 et quelques hommages. Ces miniatures, souvent de quelques secondes, sont jouées avec une intensité contenue et une attention extrême au silence. Notre pianiste y déploie une poétique du geste minimal, où chaque note semble pesée, chaque silence chargé de sens. Loin d’un simple contraste, l’album révèle une cohérence intérieure : deux langages, deux époques, mais une même exigence de concentration et de dépouillement. Un fil invisible entre les siècles, une méditation sur le temps musical, et la brièveté comme forme d’absolu, semblent s’y révéler. La prise de son, fidèle et naturelle, restitue parfaitement l’atmosphère des concerts avec clarté et précision. Le livret, richement documenté, offre les réflexions du pianiste hongrois sur les deux compositeurs, en anglais, allemand et français. Bref, un hommage à la forme courte, à l’écoute intérieure, et à la puissance du fragment.

Jean-Jacques Millo

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